top of page

Traduction française

World of Interios - septembre 2010

LABOURS IN LILIPUT  par Marie-France BOYER

Photographe Eric MORIN

 

 

Rose-Marie CRESPIN partage avec deux autres artistes le rez-de-chaussée d’une étroite maison de banlieue début de siècle complètement de guingois.  On dirait même qu’elle s’écroule.  Mais elle a encore le charme de Paris noir et blanc d’avant guerre.  

Dès le printemps, les trois artistes prennent le café devant le laurier entre un mur de parpaings, mangé de mousse, vert bronze et une porte vermoulue d’un bleu passé.

 

Rose-Marie  travaille dans un coin, dispose d’une fenêtre mais cède un droit de passage aux deux autres  artistes.  Son « atelier » fait  4 m2 et son monde, constitué par des éléments si petits et si particuliers qu’il faut mettre le nez dessus pour  les comprendre . 

Sur des étagères se côtoient quelques œufs de raie, devant un agrandissement d’aile de papillons, des coquilles d’escargots rares, des écorces, une feuille de lierre près d’une boucle d’oreille berbère, un petit lampion de papier, des boîtes japonaises en tissu avec un fermoir en os et des bocaux pleins de pigments.  Au mur, des images d’armures Samourai voisinent avec une photo de Saint-François d’Assise parlant aux oiseaux de Giotto… et puis surtout de curieux « étuis » ou tubes irréguliers faits de grains de sable agglutinés, de débris végétaux longs  de quelques millimètres dans lesquels se nichent les larves d’insectes  ailés que l’on nomme « trichoptères ».

L’univers de Rose-marie est là:  minutieux, abouti, précieux, lilliputien.

 

Née à Rennes dans les années 70, Rose-Marie est diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg ainsi que d’une Maîtrise d’Arts Plastiques.  Elle a vécu quelques années à la Réunion où elle a acquis pense-t-elle le sens de la couleur.  A Paris, elle travaille comme dessinatrice-broderie pour la haute-couture et a participé souvent à la décoration sur costumes d’Opéra , 

Dans son petit atelier de Montreuil, c’est pour elle, qu’elle travaille, participant depuis 1996 à des expositions.

C’est à l’exposition d' Yves Sabourin sur la dentelle contemporaine au Musée Baron Gérard de Bayeux qu’elle a montré cette collerette sophistiquée, multicolore qu’elle nomme « nouage » parce-qu’elle n’est formée que par des nœuds accolés les uns aux autres.  Partie de petits éléments représentant des feuilles et des fleurs, elle s’est avancée, sans dessin préalable, vers un tout.  « Au fur et à mesure, je me suis laissée porter.  Cela  m’a pris deux ans:  j’ai toujours été impressionnée par certains vêtements ethniques rebrodés de coquillages, de perles, de nacre, de cheveux.  Ils ne seront portés qu’une seule fois, pour une cérémonie, mais ce geste symbolique aura été soutenu par des heures de travail . En tenant « cette liane » entre mes doigts , je suis consciente que tout ce temps là me ferme le reste des opportunités.  C’est une vie en aparté, concentré sur une pièce. »

Toujours avec un fil et une aiguille, après cette liane, Rose-Marie s’essaie à créer des volatiles étranges et minuscules en trois dimensions. Les fils coupés servant à  rembourrer l’animal « comme des viscères », explique-t-elle.  Ces canards sauvages, coq, perdrix  de 1 cm sur 5 cm ou de 2 cm sur 6 cm lui demandent plus de 2 semaines de nouages.  « Tout cela veut dire, déplier le temps, prendre conscience de l’envergure de son vertigineux défilement, en restant là, immobile, retenue à l’élaboration d’un objet dont la réalisation est lente et répétitive … »

Tout  a commencé avec le désir qu’avait Rose-Marie de réaliser une « pièce », quelle qu’elle soit, avec un minimum de moyens.  Elle veut un matériau et un outil facile à transporter partout, fut-ce dans sa poche.

Avec son fil et son aiguille, elle rejoint « les artistes textiles » contemporains qui ont su remettre ce domaine en question. Loin des « ouvrages pour dames », dans le sillage de Louise Bourgeois, Annette Messager ou encore Joseph Beuys avec son feutre.  Ces artistes qui décident d’exprimer une pensée, un concept avec une matière qui peut être aussi bien de la laine, du fil, des plumes, du plastique ou du cheveu.

Enfant, Rose-Marie le faisait avec des nœuds.  Son grand-Père est tailleur…

 

 

Loin de se cantonner au textile mais toujours dans le minimalisme Rose-Marie s’essaie à d’autres techniques.  En os, elle sculpte des jetons percés d’un trou central, fabrique l’équivalent en cercle de porcelaine  et les accompagne d’autres modules en terre brune.

Certains sont si petits que leur diamètre peut se réduire à 0,3 cm ou si fins, « qu’ils font le bruit de feuille de peupliers dans le vent lorsqu’ils se frôlent » D’autres sont modelés, imprimés,  façonnés, gravés, travaillés de façon très sophistiquée avec des lignes en creux des trous et des motifs particuliers qu’elle obtient d' éléments récupérés les plus insoupçonnables.  Si elle se sert parfois du chalumeau, ses outils sont toujours inattendus, ils vont du matériel de 1920 de manucure à celui d’entomologiste.

Parfois, elle essaie encore d’autres matériaux comme le fils de nylon qui lorsqu’on le brûle, ses extrémités éclatent comme des petits pompons ou des fleurs exotiques lilliputiennes.

« Que ce soit à travers la céramique, le textile, le dessin, la terre, j’aime me focaliser sur  des détails à travers une dimension aussi petite que possible, mais je me trouve immanquablement  confrontée à l’ampleur du contexte.  J’y dissimule la technique, sans la nier, afin de mettre à jour des visions fantaisistes empruntée à la réalité.  J’ai été frappé  par des vidéos de personnes retenues dans des endroits clos contre leur gré.  Elles développent des pratiques singulières et s’expriment avec ce qu’elles trouvent sur place : poussières, fibres textiles, gravats…. La gestion de leur libre arbitre se « recroquevillant » dans une démarche qui est nécessaire à leur survie mentale ».

Ronde, intense, sérieuse, avec des cheveux bruns frisés qui cachent souvent des yeux  brillants comme des petits réglisses, Rose-Marie pourrait être la modèle d’un peintre impressionniste.  Sa parole lente est précise, profonde ,souvent grave et philosophique même si elle parle des poses différentes d’un canard sauvage de 5 cm.

Avec elle, tout s’inscrit dans le temps, indéterminé, sans fin.  On pénètre dans un autre monde.  Les limites reculent.  Rose-Marie évoque les artistes du Moyen-Age attachés aux « miniatures ». Avec ses « modules » en terre ou os, Rose-Marie pense reconstituer une armure de samouraî à sa taille, et si d’aventure on l’interroge sur ses petites têtes en porcelaine qui lui ont été inspirées par les « camées », son œil pétille, elle jubile de répondre que tout cela pourrait bientôt devenir une « foule » : des centaines, des milliers » de petites têtes  de porcelaine.  Pourquoi pas une installation qui serait « un nuage de têtes ? et puis comme elle sait bien qu’Alice ne rétrécit que pour pouvoir grandir jusqu’au gigantisme, elle rêve aussi de réaliser un jour un travail où les fils seraient des cordages, « je ne mettrais alors non plus mes doigts, mes mains mais tout mon corps à la disposition d’un objet surdimensionné, énorme  ! »

En attendant ce jour de gloire, et comme il faut bien vivre, lorsqu’elle ne dessine pas pour la broderie, il lui arrive de travailler dans un atelier de reconstitution anthropologique qui réalise des personnages préhistoriques. Son travail consiste alors à implanter des poils un par un.

bottom of page